De la tendresse au musée de la Chasse et de la Nature avec le délicat bestiaire d’Edi Dubien, par Joséphine Bindé, publié le 1er janvier 2025 sur le site du magazine.
Enfin Edi Dubien (né en 1963) a droit à sa première exposition personnelle dans un musée parisien ! Au sein du musée de la Chasse et de la Nature, l’artiste français déploie 250 œuvres, mêlant peintures, sculptures, installations, et plus de 200 (magnifiques) dessins.
Une œuvre poétique d’une sensibilité rare, qui réinterroge notre rapport aux animaux et à nous-mêmes.
De la tendresse au musée de la Chasse et de la Nature avec le délicat bestiaire d’Edi Dubien
Au musée de la Chasse et de la Nature, l’artiste français Edi Dubien déploie ses oeuvres d’une sensibilité rare et réinterroge notre rapport aux animaux et à nous-mêmes. Enfin Edi Dubien (né en 1963) a droit à sa première exposition personnelle dans un musée parisien ! Au sein du musée de la Chasse et de la Nature, l’artiste français déploie 250 œuvres, mêlant peintures, sculptures, installations, et plus de 200 (magnifiques) dessins. Une œuvre poétique d’une sensibilité rare, qui réinterroge notre rapport aux animaux et à nous-mêmes.
Un petit garçon pose tendrement le bout de son nez contre la truffe d’un loup. Des herbes
folles poussent dans le dos ou sur la poitrine de jeunes rêveurs mélancoliques. Des coccinelles se posent sur les oreilles d’un enfant ou d’un suricate pour s’offrir en bijoux. Un oiseau de nuit déploie ses ailes et prend son envol, émergeant avec grâce du torse d’un jeune homme…
Une tendresse, une délicatesse et une poésie infinies émanent de chacune des œuvres d’Edi Dubien : de ses sculptures en céramique, résine ou terre cuite , certaines monumentales, d’autres minuscules, suspendues à un lustre tels des gris-gris, mais aussi et surtout de ses dessins à l’aquarelle et au crayon , rehaussés avec douceur de quelques nuages de couleurs et de coulures semblables à des larmes – de véritables bijoux à picorer, dont environ 200 sont présentés dans une seule salle sur deux murs foisonnants.
Se reconnecter aux animaux Ses créations investissent tous les espaces du musée de la Chasse et de la Nature – une tradition dans ce lieu où les œuvres d’artistes contemporains se faufilent toujours entre les meubles, les peintures et les trophées anciens pour les réinterroger.
Cerfs, renards, tortues, lièvres, oiseaux, ours… Les animaux d’Edi Dubien touchent par leur beauté mais aussi par leur part de vulnérabilité, la douceur, la bonté et l’intelligence de leur regard – de la prunelle fière et ambrée d’un loup aux grands yeux noirs humides d’un petit faon roulé en boule. Leur précision naturaliste qui détaille chaque poil, plume et écaille se mêle à un zeste de rêve et de surréalisme, qui évoque l’univers des contes et du chamanisme.
Dans ce lieu chargé qu’est le musée de la Chasse et de la Nature, où des trophées et des
fusils témoignent de la domination violente de la nature par l’homme, ses œuvres nous invitent à nous reconnecter à ces animaux, dans un rapport d’égalité et de bienveillance.
On y découvre par exemple de grands portraits de blaireaux, de ratons laveurs ou d’écureuils mis en valeur comme des rois et des reines, des dessins et sculptures d’oiseaux nichés dans la chevelure ou la barbe d’humains, et des pitbulls câlinés par des mains d’enfants – loin de la férocité supposée de ces chiens, qui n’est « que le reflet de la violence des maîtres ».
Une manière de soigner les blessures
Entre les pattes de l’ours blanc naturalisé (l’une des pièces emblématiques du musée),
l’artiste a placé un bouquet que l’animal semble nous offrir de bon coeur. Mais au centre de chaque fleur, se niche une petite tête de mort… « C’est une manière de dire qu’il est gentil, qu’il ne nous veut pas de mal, mais aussi de rappeler qu’il est menacé. C’est aussi comme s’il cherchait à se faire excuser, alors qu’il est une victime. Comme le font les enfants maltraités… », nous glisse Edi Dubien.
L’artiste, qui a effectué sa transition de genre en 2014, a souffert de l’intolérance et de
l’exclusion. Depuis toujours, les jeunes garçons et animaux qu’il représente ensemble,
engagés dans un dialogue sensible, sont en réalité des autoportraits qui font écho à ses
propres blessures, et à celles de tous les opprimés. « Je mets en scène des individus réduits au silence par la violence d’une société qui méconnaît tant l’environnement que la diversité », nous explique-t-il. L’animal fragile, persécuté par les hommes, est donc mis en parallèle avec le petit garçon discriminé et brutalisé par ses pairs. Tous deux fusionnent comme pour se consoler, se renforcer l’un l’autre. La variété des bêtes représentées est aussi un appel à embrasser la beauté des différences chez l’homme. « L’autre », la « créature » venue des bois, n’est pas un ennemi sauvage à chasser mais au contraire une partie de nous à soigner et apprivoiser.
Dans ce face-à-face en miroir, l’animal apparaît comme « une projection de l’âme » de
l’enfant, son animal-totem, son double adjuvant, l’incarnation de ses émotions et de sa
personnalité.
Non loin des terrines en céramique en forme de têtes d’animaux du XVIII e siècle, l’artiste
répond à la mort par la vie en présentant des sculptures en céramique pleines de délicatesse : une tête de jeune garçon embrassant sur la truffe une tête de renard ou de jeune cerf. Dans ce face-à-face en miroir, l’animal apparaît comme « une projection de l’âme » de l’enfant, son animal-totem, son double adjuvant, l’incarnation de ses émotions et de sa personnalité. « Un peu comme les daemons dans la trilogie de fantasy À la croisée des mondes de Philip Pullman ! », précise Rémy Provendier-Commenne, commissaire de l’exposition et responsable des collections du musée.
Un regard plein d’espoir
Au premier étage du musée, l’artiste a habillé un sanglier empaillé, posté devant un tableau de chasse violent, d’un tutu rose « pour lui redonner un peu de joie ». Collerettes, maquillage, faux cils, chaussures à talon… En affublant parfois ses animaux d’accessoires,
Edi Dubien explore la question du genre, du travestissement et de l’identité, mais aussi des frontières entre humain et animal, nature et culture.
Ses œuvres restent toujours subtiles. Loin de réduire ses personnages à des victimes
fragiles, l’artiste veut montrer comment « nos fragilités deviennent une force ». Ainsi, une
larme versée par un petit garçon se transforme en lapin source de réconfort, et un renard
bondit de la poitrine d’un enfant allongé pour exprimer l’idée d’une résurrection. Cette
ambivalence est incarnée par son choix de l’aquarelle – un médium « léger, fragile, mais qui en même temps va direct à l’émotion, à l’essentiel »
Chez lui, tout est remède, réparation, réconciliation et renaissance. « Chacun de ses petits
garçons est un survivant, qui est revenu de la bataille », commente le commissaire. Dans la salle des trophées, Edi Dubien renverse le rapport de forces en passant autour du cou des léopards naturalisés des colliers de trophées miniatures incluant de petits humains.
Dans la salle du cerf et du loup, des maisons blanches plantées sur les bois du grand cerf
naturalisé créent aussi un renversement : la maison, symbole de domestication de la nature par l’homme, se retrouve changée en trophée. Mais elle symbolise aussi la cohabitation, le refuge et la protection…
« Le travail d’Edi Dubien est un appel à ne jamais renoncer à l’espoir, à l’entraide, à la beauté du monde, à la lumière », résume le commissaire. « On a besoin de lumière, nous glisse l’artiste. Parfois, un miracle surgit dans les moments les plus obscurs ». C’est bien ce qu’incarne son art : un merveilleux miracle !
Joséphine Bindé